mercredi 19 juin 2013

Incroyable

C'est un sujet difficile, mais c'est de lui que j'ai envie de parler. De cette personne. De ce gâchis.

Retour sur images.

1986. Deux tout tout petits amoureux qui se cachent dans la classe pendant la récré. Ils ont 4 ans et ils se cachent pour n'être que deux. Ou pour une toute autre raison, que sais-je - jamais un enfant, un grand bébé, n'écrira, ne décrira ce qu'il vit au moment où il le vit. Si leurs tourments intimes laissent des empreintes, ils ne s'en envolent pas moins pour toujours.

Les années passent. La petite fille pense toujours au petit garçon, tendrement. Elle collectionne les publicités du commerce de ses parents. Leur spécialité, c'est le boudin ! Le boudin noir ! Mais peu importe. Ca ou des fleurs ! La petite fille ne se pose même pas la question. Les affichettes la raccrochent à son amoureux.

Les années passent encore, les chemins se séparent pour de bon.

Quelques années encore, et leurs mondes se rejoignent un peu, par leurs frontières. Juste assez pour qu'ils discutent épisodiquement, pour qu'ils sachent ce qu'ils deviennent, respectivement. Le mariage d'un ami commun, des passages dans leur région d'origine. Juste assez pour que la petite fille devenue grande coure frapper à la chambre d'hôpital du petit garçon devenu triste quand il réchappe de sa première tentative.

Il a l'air bien. Bizarrement bien. Il est entouré, rassuré. Souriant ! On s'en réjouit, sans doute un peu lâchement. Il n'a pas 25 ans, il a toute la vie devant lui. Ouf.

Janvier 2012. Un coup de fil, une femme en pleurs. Ma mère. Anthony ne s'est pas loupé, cette fois. Incroyable. Impossible à croire, plutôt. Je m'interdis de réagir.

Mars 2012. L'enterrement est passé, les hommages se sont succédés, à des centaines de kilomètres de moi. Mon monde fait son deuil. Moi, en ai-je vraiment le droit ?! Jamais je ne l'ai appelé. Il était dans mon paysage, il était là pour toujours. Il n'allait pas faire ça. J'allais le revoir dans un mois, un an, deux ans, peu m'importait. Un jour, on m'annoncerait son mariage, la naissance de son premier enfant... Anthony allait avoir une vie normale. Le contraire ne me serait jamais venu à l'esprit. Mars 2012, je m'autorise à fondre en larmes. Il le fallait.

Juin 2013. Oui mais. Mais ici, rien n'a changé. Pour moi, il n'y a pas eu d'enterrement, il n'y a pas eu d'hommage. Pour moi, il n'est pas mort. Quand il traverse mes pensées, je l'imagine vivre sa vie. Il y a d'un côté ce que je sais, et de l'autre ce que mon cerveau élabore.

Après 17 mois, je comprends soudainement, ce soir, que moi aussi, j'avais un deuil à faire. Et que j'en avais le droit, même sans être sa soeur, sa meilleure amie, ni même une simple amie. Moi aussi, j'étais dans son paysage. Il ne m'aurait pas interdit de le pleurer.


Ce ne serait pas une mauvaise idée d'aller sur sa tombe, un de ces quatre. Oui, je vais le faire. Sûrement.

8 commentaires:

  1. Je ne sais pas quoi dire… Impossible de reconnaître le mal-être profond des personnes que l’on a en face de nous… alors, à des kilomètres ?
    Dans ces cas-là, on aimerait croire à l’au-delà ou à la réincarnation, que ces personnes ait le droit à une seconde chance de connaître le bonheur.
    Pour ma part, je n’y crois pas vraiment, mais je me dis que là où son âme repose, peut-être qu’il est heureux de voir qu’il vit toujours à travers toi.

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  2. C'est sûr, je ne l'oublierai jamais.

    Autre aspect de cette histoire, son départ m'a fait vivre quelque chose dont j'avais entendu parlé, mais que je n'avais jamais approché. Anthony avait un compte Facebook, toujours ouvert aujourd'hui. Ses amis lui laissent des messages. C'est très déconcertant, déstabilisant, surtout au début ! Un mur Facebook comme stèle-hommage.

    Imaginez tous ces comptes Facebook par millions, qui resteront ouverts probablement très, très longtemps !

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  3. Personne ne peut garder des contacts privilégiés avec toutes les âmes croisées au cours de sa vie.

    L'essentiel, dirons-nous, est de jouir et s'enrichir de chaque instant partagé, de vivre le moment présent. Si cliché, mais tellement vrai !

    Un regret : ne pas réussir à s'organiser plus de rencontres qui auraient favorisé l’épanchement intime et m'auraient permis de te soutenir sur cette incompréhension, ce refus d'injustice.

    Conclusion : Vous venez manger à la maison vendredi prochain !

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    1. C'est vrai, on ne peut pas garder le contact avec tout le monde. Mais tout comme on reconnaît le bonheur au bruit qu'il fait quand il s'en va, on reconnaît peut-être les personnes avec qui on aurait dû garder le contact au mal que ça nous fait quand ils s'en vont. C'est cruel !!! Une autre leçon de vie.

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  4. Je comprends. Un peu.

    Quatre personnes qui étaient au collège avec moi ne sont plus de ce monde. Quatre.
    J'ai encore du mal à y croire. Et en effet les pages facebook, si aucun membre de la famille ayant les identifiants ne les ferment... ils restent. Oui.

    Je te fais un bisou.

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    1. Quatre ! Un, c'est trop. Quatre, c'est juste fou. On n'y croit pas, on ne "réalise" pas comme on dit communément. Je veux pas trop y penser maintenant, mais j'imagine maintenant que les personnes âgées doivent avoir tellement de ces fantômes dans leurs têtes ! Mais non, pas maintenant. Aujourd'hui, une amie m'a annoncé sa grossesse. J'ai davantage envie de penser à ça :)

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  5. ça me rappelle mon homme et son meilleur ami. Depuis que je suis avec mon chéri, je n'ai pas beaucoup connu son meilleur ami, enfin, si, parcequ'il m'en parle beaucoup, énormément, c'est comme s'il faisait parti de la famille en fait.
    et puis après 2 ans sans nouvelle, un beau jour, je décroche le portable de mon homme qui était en train de conduire et c'était son meilleur pote, il voulait le revoir, lui présenter sa copine.
    ils n'ont pas fixé de date car à l'époque, nous vivions à 3h de route mais nous lui avions dit que dès que nous reviendrons, nous passerions le voir.
    la prochaine fois, nous allions à un mariage et donc, nous n'avons guère eu le temps, nous en avons discuté, mon homme était fatigué.
    sauf que... quelques jours plus tard, son meilleur ami mourrait dans un accident de voiture.
    ce fut un drame...
    des remords, on en a eu mais nous ne pouvons plus faire marche arrière! on peut juste dire qu'on ne refera pas les mêmes erreurs!
    ne pleurons pas ceux qui sont morts, ils ne sont plus là, clamons les vivons, ils ont encore besoin de nous.

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    1. Tu as raison, faisons attention à ceux qui sont encore vivants. Mais qu'on le veuille ou non, ceux qui sont partis sont quand même là, tant que nous sommes là. Quand quelqu'un a fait partie de ta vie, tu ne l'effaces pas, tu ne refais pas l'histoire. Et ce n'est pas souhaitable, d'ailleurs - même si c'est douloureux. J'aime les souvenirs, tous. Ceux qui me font rire, ceux qui me font pleurer. J'aime les souvenirs intenses. Ils restent, ils donnent leurs couleurs et leurs reliefs à nos parcours de vie. Une fois qu'ils sont vraiment passés, acceptés. Une fois que les deuils sont faits.

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