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mercredi 19 juillet 2017

Teachers don't cry

17 novembre 2016.

J'ai 2 mois et demi d'enseignement. A mi-temps.

Je les sens dans les jambes, je les vis dans mes mains, ils pèsent joliment lourd dans mon cœur. Mon rêve prend corps. Il m'use et me fait grandir en même temps.

J'ai tous les défauts du monde. Je pèche, parait-il, par excès d'empathie envers les élèves et leurs parents. A chacun sa vérité - je dirais plutôt que que j'ai pour seul bagage mon instinct, et ça, pour le meilleur et pour le pire.

17 novembre 2016.

Je vais enfin rencontrer les parents de S. Enfin, nous allons pouvoir en parler, comprendre un peu, prendre des décisions. Avec la famille. Co-éducation POWER en FORCE. Entreprendre de sauver S., rien de moins que ça ! La veille au soir, j'ai passé plus de 2 heures à rédiger un document, avec autant de justesse que possible, pour décrire son comportement, son évolution, les problèmes, les difficultés. Deux heures à reprendre, à nuancer. Il fallait que la trace soit pertinente, utile, évocatrice. Et puis quelque part, je jouais ma crédibilité.

17 novembre 2016.

J'ai passé la matinée à reprendre mon compte-rendu, à prendre des conseils, à intégrer les commentaires de l'autre enseignante. Je n'ai écouté les cours que d'une oreille. A 12:36, j'ai envoyé à ma directrice la dernière mouture de mon document, puis j'ai pris la route. J'ai mangé dans ma voiture, l'enthousiasme au ventre et la caféine au cœur (ça marche aussi dans l'autre sens). C'était ma première équipe éducative, j'étais remontée à bloc. Quand je suis arrivée à l'école, je n'ai encore prêté qu'une oreille distraite aux prévisions pessimistes de ma directrice.

13:40.

Je me tiens droite dans le couloir, le dossier de S. sous le bras. Je ne sais ni quand ni de quel côté les parents de S. vont surgir, et je veux faire bonne impression. Leur faire comprendre d'emblée que je suis de leur côté. Qu'ils ne sont pas là au tribunal.

13:50.

...

14:00.

Ma directrice appelle le papa. Il n'a que de la colère à partager. Il a du boulot, son ex-femme aussi, on ne leur a pas laissé le choix du créneau horaire. Et puis, les équipes éducatives, merci bien : ils se sont laissés piéger une fois, avec la plus jeune de leurs filles : il n'y aura pas de deuxième fois ! Se retrouver face à un psy, et puis quoi encore ? Lui et son ex-femme sont CONTRE les psys : c'est quand même à eux, parents, que revient l'éducation de leurs enfants !

Mea culpa. J'avais pas idée. J'étais persuadée que les faits, les simples faits, suffiraient à mobiliser les deux parents de S.

S. est en conflit permanent avec le monde entier.

S. n'effectue aucun travail en classe.

S. se roule par terre et pousse des cris en plein cours.

S. se frappe et frappe les autres à tout bout de champ.

S. vole et s'attache passionnément aux objets de ses larcins.

S. a 7 ans, 5 mois et 6 jours.

Alors voilà, franchement, je suis tombée d'un peu haut et je me suis fait un peu mal. Et oui, franchement, une fois dans ma voiture, j'ai pleuré pour S. J'ai pleuré sur son sort. J'ai été écœurée, outrée, j'ai été en colère contre l'inconscience de ses parents*. Je les ai même peut-être un peu insultés, dans ma tête ou à haute voix, je ne sais plus trop. C'est flou.

No worries : les larmes dans la voiture, je sais bien qu'elles n'étaient pas pro**. Mais c'est le métier qui rentre, et il faut bien que ça se fasse, ma bonne dame. Tout de même, elles ont marqué un autre début. Ce 17 novembre 2016, je me suis améliorée. J'ai arrêté de ne voir que ce que je voulais bien voir, de ne croire ce que je voulais bien croire. J'ai eu un peu plus d'indulgence pour la dureté de ma directrice (un peu). Il m'a été démontré par a+b que, malgré tous les beaux projets que l'Education Nationale a pour ses millions de petits élèves, je serais assez souvent seule avec mes petites jambes, mes petites mains et mon petit cœur, et qu'il allait falloir bien faire avec.

Et puis, j'ai compris que finalement, de l'empathie, quoi qu'en pensent les bonnes gens, il allait m'en falloir un paquet, et que du coup, en fait, ben j'étais peut-être bien exactement, précisément, pile-poil à MA place. Nom d'un petit bonhomme en bois***.

*Evidemment, mon point de vue sur cette situation, et sur les situations similaires à celle-là, a beaucoup évolué au fil des mois. Mais ça, c'est une autre histoire.
**D'ailleurs, je ne les ai même pas décomptées de mes 108 heures.
***Private joke inside. Un bisou à mes élèves.

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