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dimanche 8 octobre 2017

Langue maternelle

Il y a une chose qui fait partie de moi d'une façon si naturelle et si ancestrale, que je n'ai jamais songé à la décrire.

J'aime tellement, tellement les mots que je n'ai jamais envisagé de vivre sans ceux que ma langue maternelle ne contient pas. J'ai rencontré dans les autres langues des trésors de précision, le reflet indécemment juste de ressentis profonds.

Alors j'emmagasine. J'apprivoise les parlers de terres dont je ne foulerai jamais le sol, de femmes et d'hommes dont je ne sentirai jamais la chaleur. Je découvre avec délices des écritures totalement déconnectées de ma culture, je me laisse subjuguer et rafraîchir par leur intelligence insoupçonnée.

Mais récemment, j'ai compris que mon corps parlait une autre langue. Une langue intime, source de délivrance. Une langue que je n'ai pratiquée que seule, ou presque, tout au long de ma courte vie. Pourtant, si je devais coucher sur le papier ma biographie, c'est sans doute celle-là que j'emploierais. C'est vrai, je crois que je n'aurais idée de me raconter ni en français, ni en anglais, ni en allemand, ni en espagnol, ni en italien, ni en russe.

Un jour, je me raconterai en larmes. Des larmes qui ne seront pas des complaintes, mais autant de mots qui diront avec une aisance jouissive les douleurs refoulées.

Je décrirai en larmes les blessures de l'enfance et de l'adolescence.

Je décrirai en larmes les doutes indomptables.

Je décrirai en larmes le bonheur d'être une mère au sein d'une famille à flot.

Je décrirai en larmes toute la chance qui me frappe.

Je décrirai en larmes le poids des disparus.

Je décrirai en larmes la peur de basculer.

Je décrirai en larmes l'amour qui tourne la tête.

Le jour où je m'arrêterai pour me raconter en larmes, j'aurai les yeux rougis, et le coeur tout blanchi. J'aurai les joues creusées, mais la tête relevée.

J'aurai laissé, enfin, et l'âge et la sagesse, accéder à mon âme.

J'aurai autorisé, et mon corps et mon être, à passer à la suite.

Je parlerai en larmes, et ce, passionnément. Si l'On m'en laisse le Temps.

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